Il suffit que Mickey titre « Spécial vacances » sur son numéro spécial vacances pour que je m’y voie un peu, je pars faire un tour de ville avec les enfants, au terme de notre rotation nous revenons plein d’emplettes et de projets pour l’après-midi : nous allons peindre, comme les jours où il pleut, pas grave, nous allons peindre deux tirelires. Une pour chacun et nous répartirons la somme accumulée dans feu la tirelire commune (une commune boîte en plastique) entre les deux petits épargnants. Ce cochon de cochon nous réserve une bien mauvaise surprise : l’usufruit pourri est estimé à 14 euros et 25 centimes. L’aîné pas de la dernière pluie propose d’en garder 7 euros et 13 centimes, abandonnant 13 euros et 12 centimes à la frangine. Je trouve ça injuste donc j’acquiesce. Nous arnaquons l’ingénue de Génie.
Il s’agit d’une fusée et d’un hibou, ou peut-être s’agit-il d’une chouette, moi je dis chouette, mon grand dit hibou, ma petite dit chouette, un hibou. Ca ne loupe pas : la fusée du grand sera aussi celle de Tintin. J’orthogonalise en ellipse, je me démerde plutôt pas mal, je dirais même plus : je me démerde plutôt pas mal. Je dis qu’on aurait dû acheter du vernis, mon paresseux me dit que ce n’est pas la peine, ma dernière qui n’est pas la dernière suggère qu’on appelle sa maman : du vernis, elle en a de toutes les couleurs.
Nous peignons. Mets de la matière, asséné-je, mets de la matière. Mon fils me demande quel aurait été le prix de sa tirelire si il s’y était trouvé 2000 euros dedans. Pour la première fois de ma vie, donc de la sienne, je trouve qu’il dit un truc idiot. Je lui fais remarquer que c’est idiot, elle aurait valu 2000 euros. Ben non, c’est sans compter le prix de la tirelire. C’est pas idiot. Je lui dis de remettre un peu de matière.
Nous sommes interrompus par des hurlements émanant d’éminents manants. Une maman hurle après son fils : « Quand on aime sa mère on dit pas qu’elle est grosse, si tu m’aimes tu me dis pas que je suis grosse ». Faut reconnaître qu’elle ne laisse pas beaucoup de place sur le trottoir, nous on s’en fout on est au balcon, quel spectacle que ce bal con. La rue est à eux, ils sont à leur déplaisir, nous ricanons, ce qu’on est bien là-haut. Refermons la parenthèse et la fenêtre, il faut de tout pour faire immonde, remettons un peu de matière.
La fusée est fuselée. On est à bout du hibou. Mon cadet cadeau regrette que ce ne soit pas plus lourd : j’essaie de lui expliquer que l’argent, c’est du temps. On en a (du temps), ce sont les vacances. Ca joue avec la fusée, « vvvvvou ! », mieux vaut pré-vernir que guérir : la peinture rouge s’épaillette un peu partout dans l’appartement, un coup de Frank Wolff ? Un coup d’éponge, je ne suis pas verni.
Nous sommes en vacances ou presque. On boit frais, on mange cru. L’ainé fin regrette que les jours diminuent déjà, je ne sais pas de qui il tient ça. Tiens, aujourd’hui en classe, nous avons rechanté toutes les chansons que nous avons apprises depuis le début de l’année. Un élève que je n’imaginais pas si sentimental m’a dit avec un grand sourire que ça lui donnait envie de pleurer tellement c’était bien, le début de l’année. Je me le suis rappelé en début d’année, quand il me donnait envie de pleurer tellement c’était pas bien quand il mangeait sa colle. Cours ministral sur la nostalgie. Je leur ai dit qu’ils me manqueraient. C’était très exagéré.
Revenons à mes moutons : Michel Delpech et sa fusée hergiaque, Shakira qui bout. Quand je les dépose à l’école, le grand me tient la main et la petite à l’écart. L’un génie, l’autre génue. Le bédéphile et le bébé file. La boule à mimiques ne mange rien, l’autre affamé bouffe dans ses pantalons. Les aimants m’attirent.
Le week-end touche à sa fin. Je dépose et je dispose. Demain les vacances.
Bébé Lionceau entrera l’an prochain au CP et l’an prochain c’est cette année, du coup elle veut déjà lire et comme je ne lui apprends pas à lire elle s’impatiente et se demande bien ce que je peux faire dans ma classe de CP si je suis incapable de lui apprendre à lire, mais en fait je ne veux pas lui apprendre à lire, je voudrais qu’elle profite à mort de ses dernières semaines de maternelle parce que c’est la belle vie et que ce sont aussi les miennes et que je n’aurai plus d’enfant en maternelle, elle ne se rend pas compte ce que c’est, ça, pour un papa, plus d’enfant en maternelle, c’est un siècle pour elle, du sable pour moi, ça lui tarde, je lambinerais bien, les devoirs l’appellent, les devoirs à la pelle, ma poule, ne me font pas très envie. Elle lira et quand on lira tous les trois je ne servirai qu’à mettre le ton.
Elle voudrait bien aller dans mon CP. Oh malheur ma poulette, si tu savais. Elle voudrait que je sois son Maître, mais je suis ton pèèère, comme il paraît qu’on dit dans un film qu’il paraît qu’il faudra bien que je regarde un jour. D’ailleurs elle a eu un Maître cette année, genre mon âge selon elle, genre dix ans de moins selon moi, genre taillé comme une saucisse selon elle, genre taillé comme moi selon moi, genre génial selon elle, genre un peu pas terrible selon moi. Mais je ne la prendrai pas chez moi parce que ça bouge un peu trop ma poulette, et puis il faudrait m’appeler Maître et je n’ai pas très envie qu’elle m’appelle Maître, ni qu’elle m’appelle Papa devant les copains. Ceci dit j’ai des élèves qui m’appellent Papa, le lundi matin quand ils n’ont pas bien fait la coupure, j’en ai aussi qui m’appellent Maman, ça fait rire tout le monde, moi je trouve ça chouette, je joue la Maman du coup, mais c’est rien, rien comparé à ce que m’a dit un jour mon pote Julien : un jour, ben y’a un élève qui l’a appelé Mamie. Ca c’est magique et ça, on me l’a jamais fait. Mais j’en rêve la nuit et je trouverais ça drôle que ça m’arrive tant que je ne suis pas trop vieux.
Chez moi mon cœur, quand les élèves sont polis, c’est en général qu’ils espèrent récupérer leur spinner ou qu’ils veulent retourner dans leur classe dont ils ont été bannis. On dessine des bonshommes patates parce que les bonshommes c’est rien que des patates. Enfin je sais pas, j’imagine que c’est pour ça. En même temps Grand Frère Lion en est encore aux bonshommes patates, et pourtant il est intelligent, enfin ça c’est un autre sujet. Dans mon école ma petite patate, peu d’élèves savent que la patate, c’est pas loin d’être une pomme de terre. Je leur apprends des trucs incroyables.
Elle me croit sévère mais je ne suis pas si terrible. Elle me croit bon Maître mais je ne suis pas si terrible.
Chez moi petite caille, les élèves se battent dans la cour, c’est leur récréation parce qu’en classe ils n’ont pas le droit. A les entendre, les mamans feraient toutes le même métier et on n’entend pas beaucoup parler des papas. On prête du matériel à longueur d’année, t’y crois ça ma grande ? On prête des crayons à longueur d’année. Et même, des fois, souvent, il y a des élèves qui embarquent le matériel de la classe. Ils disent que c’est à eux, même quand c’est écrit CP dessus et que c’est moi qui l’y ai écrit.
Elle fera sa lecture et dira B-A et puis BA. Elle comptera jusqu’à 100 et apprendra quelques trucs qu’elle sait peut-être déjà. Elle ne fera plus motricité parce qu’elle fera sport. Elle produira de l’écrit bien que je la trouve un peu jeune pour déjà produire. Mais elle ne fera pas de sciences, ah ben non, au lieu de ça elle questionnera le monde. C’est con ça, « questionner le monde ». Mais ce que c’est con ! Oh les programmateurs, vous n’avez rien d’autre à foutre ? Quand je pense qu’ils sont payés. Quand je pense qu’ils sont mieux payés que nous.
Elle pourrait faire tout ça dans mon école mais bon, c’est un peu dommage et pas très républicain, mais elle en ferait beaucoup moins que dans la sienne. Alors elle restera dans la sienne.
Elle joue à l’école avec son frère dans leur chambre, ils font une belle paire d’instits et je consens à jouer le rôle de l’Inspecteur. Je frelate des cordes vocales et des grands principes, je condescende, je bureaucrate. Je prends dans ma chambre les doudous qui ne se tiennent pas bien, bon ce n’est pas vraiment le rôle d’un Inspecteur, un Inspecteur serait bien emmerdé avec un enfant qui se tient mal, mais pour leurs doudous pas si vilains je fais l’effort.
Dans mon vrai métier j’ai un élève un peu pénible et un peu débile aussi, entre nous on peut se le dire, franchement il est débile, c’est pas parce que c’est la fin de l’année hein, dès le début je savais qu’il était débile, et qui me réclame encore, à la fin de son année de CP, de chanter les petits poissons dans l’eau qui nagent nagent nagent nagent. Pas trop dur à accompagner à la guitare, mais terriblement aquatico-niais. Je voudrais qu’elle ne le croise jamais dans sa vie. Alors oui, je ferai l’impasse et me résigne à n’avoir toute ma vie que les enfants des autres, dans ma classe. Et dans ma chambre, les doudous malins.
Le bordel dans leur chambre – si un chat est un chat alors un bordel dans leur chambre est un bordel dans leur chambre – est une trace qu’il est pénible d’effacer, pénible parce qu’il faut ranger à leur place, et que leur place n’est pas toujours ici, pénible parce que ranger c’est déranger et que je n’aime pas beaucoup les déranger quand ils ne sont pas là alors je fais traîner et quand je vais pisser la plante des pieds pique un peu sur les petites pièces mal assemblées. J’ai fait le ménage de printemps hier vu que c’est déjà l’été mais je ne suis pas allé jusqu’à ranger leur chambre. Quand c’est le bordel dans leur chambre je les entends jouer, l’autre jour je réparais le vélo de mon fils dans la cour et par la fenêtre je l’entendais jouer, au pompier, au vétérinaire, au spectacle de Livi Star, c’est leur microcosme et mon macroplaisir, s’il y a bien un truc que je ne leur aurais pas inculqué c’est le rangement, un vrai bordel. Mon fils a été chouette : avant de partir pour ne revenir que dans une semaine, il a bien voulu ranger les Kapla, la mort dans l’âme parce que les Kapla c’est surtout les tribunes pour le spectacle de Livi, du coup y’a un peu relâche pendant une semaine. C’est l’absence et ranger en leur absence c’est une double peine mais il faut bien marcher jusqu’aux chiottes alors je balaie un peu du pied, je maugrée mal gré et plutôt bon gré parce qu’ils sont un peu là quand même au milieu de ce bazar foutraque et comme ils me manquent, je rechigne à ranger. Sanctuaire. Je range finalement le jeudi en général, c’est logique, pour que le vendredi en maréchal du logis je les mette en garde, sans vraiment y croire, que cette semaine ben ils auront intérêt à ranger.
Je crois que j’ai du plaisir à mettre les Légo dans les casiers à Légo et les Playmobil dans les casiers à Playmobil et les innombrables jeux indéfinissables dans les casiers indéfinis.
Nous déménagerons à la fin de l’été dans une grande maison qui est vérité plutôt petite mais ils auront chacun leur chambre et une nouvelle page sera tournée, celle de la chambre partagée, de leur petit monde à l’apparence apocalyptique où pourtant, dans la tête de mon fils, chaque figurine à sa place. Ce sera le bordel dans leurs chambres après le bordel dans leur chambre, j’aurai deux fois plus à ranger. J’ai posé mon préavis, contracté un prêt à vie, ils continueront de grandir chacun de leur côté, revendication de l’aîné, résignation de la cadette. Il y en aura de partout fois deux. Les toilettes ne seront plus au fond de leur chambre. Au fond de leur chambre, il y aura des rangements.
Une fête arrosée, du rosé, une copine qui me dit que ça doit être sympa de ne pas avoir ses enfants à surveiller, le temps d’une fête. Ce serait l’apanage de la garde alternée. Je dis oui je pense non, ils me manquent et ce n’est que samedi. J’aime bien les avoir sous le coude quitte à les avoir sur le dos. Je me réjouis très rarement de ne pas les avoir. C’est égoïste et préoccupant.
Dans cette maison il y aura un figuier et un chat. Le figuier donnera de temps en temps. Le chat se barrera. Et les enfants seront parfois là.
Il y a un petit Playmobil fermier qui pourrait me ressembler, c’est en tout cas ce que me dit ma fille : il me ressemble. Bon. Il est un peu barbu, short bleu maillot rayé, pas forcément toujours à sa ferme, je l’ai vu l’autre jour donner le coup de main sur le plateau de Livi Star, il est ingé son quand ça arrange les enfants, on ne sait pas bien qui veille au grain dans ces cas-là. Un jour il a même pris sa douche avec ma fille. En tout cas c’est le moi de substitution, le type qui fait plein de trucs, c’est flatteur et plutôt inattendu, en tout cas depuis qu’ils sont partis il est sur le toit de la caserne. Je me demande vraiment ce qu’il fout sur le toit de cette caserne. En plus c’est une caserne Légo. Le type irresponsable et pas à sa place.
Depuis qu’ils sont partis il est là. Il y restera jusqu’à ce qu’ils reviennent.
Je lui ai pris Pif un peu au pif et aussi parce que les unes macronisantes ne le tentaient pas plus que ça et à sa sœur le dernier numéro de Schtroumpfs parce que ça la schtroumpfait pas mal avec les gommettes en plus tu m’étonnes. Je lui ai fait l’article, faut dire que y’en a de bons dans Pif, en tout cas dans mon souvenir car Placide ne m’amuzo plus depuis longtemps. Je lui ai dit que les gadgets c’était de la crasse, il m’a cru et du coup il l’a pris. J’ai pour ma part choisi la Une macronisante. La Une à Nîmes qui ne m’a pourtant pas tellement convaincu.
Quand j’étais gosse mes parents ne voulaient pas que je prenne Pif parce que les gadgets étaient foireux. Ils craignaient aussi que l’hebdo m’adhère au Parti communiste. Il faut reconnaître que Georges marchait pas droit. En tout cas mes pièces de 10 francs n’auront pas suffi.
Je lui ai parlé du passé mais pas du PC. Il avait le pif collé dessus, mon sympathique sympathisant, alors il l’a pris. Pour l’avion, et pour les Pifises.
Je lui avais bien dit que c’était de la crasse. J’ai ricané quand il a versé sa poudre de Perlimpinpin dans l’eau, pourtant Perlimpinpin est un Dieu toujours vivant. Il s’attendait à voir plein de petits copains apparaître, tendre enfant solitaire, des petits Pifises dans l’appartement, nous voilà bien. On est partis en voyage et ça nous a fait l’avion puis tout le séjour : quand on reviendra, les Pifises…si ça se trouve, y’en aura partout des Pifises…on ne pourra peut-être même pas ouvrir la porte, tellement y’aura de Pifises…ils auront peut-être descendu les bières de Papa, les Pifises…ils auront éventuellement croqué tes doudous, les Pifises. Là c’était moins drôle d’un coup.
Ben c’est pas de la blague, en rentrant chez moi quatre jours plus tard, je me suis quand même demandé s’il n’y aurait pas une ou deux larves dans l’eau. Mais non, rien. Les enfants étaient déçus.
On est passé à autre chose mais il ne fallait surtout pas vider l’eau, au cas où, et on a quand même versé la deuxième poudre magique, au cas où aussi, la poudre qui alimente les Pifises mais qu’il ne fallait surtout pas verser dès le premier jour mais seulement une semaine après, d’ailleurs ça ne faisait pas tout à fait une semaine et Grand Frère Lion commençait à se demander si allait marcher et je commençais à me dire qu’il était temps qu’il se pose véritablement la question. J’ai gardé la flotte avec rien dedans, les enfants sont partis, je suis resté avec mes Pifises parce que je n’arrive pas toujours à passer à autre chose. Et que les enfants sont « trop petits pour être malheureux », comme dit la chanson chérie.
J’ai vu plein de trucs depuis qu’ils sont partis : des gamins jouer du piano sur Facebook et ils jouent super mal, des gamins dans les parcs et ils crient très fort, des gamins des autres que j’aime beaucoup et que je ne suis pourtant pas allé voir, finalement, et je m’en suis voulu parce que ce sont les seuls gamins que j’accepte de faire rire quand les miens ne sont pas là. Et aussi des gamins en photo, c’étaient les miens.
Alors j’ai fait le ménage. Les Lego dans la boîte à Lego. Le Pif Gadget dans l’étagère ad hoc. Le capitaine Haddock dans les tas « G.R. ». Les prospectus dans la pochette à souvenirs et les dessins dans la pochette à dessein. J’allais vider l’eau mais j’ai vu un Pifise mort né, enfin un Pifise quoi, je n’allais pas le foutre en l’air, faut pas foutre en l’air, faut foutre en l’eau, vite la deuxième poudre magique, fantasme néonatal ou délire prélétal je ne savais pas bien, je n’ai pas tout versé parce que je me suis souvenu que lui non plus il ne finissait jamais ses biberons, et là fallait reconnaître qu’il y avait bel et bien un copain qui flottait.
J’ai quelques amis qui flottent en ce moment.
Je l’aurais volontiers pris en photo pour l’envoyer à mon gamin, petit ami des larves, mais c’est con un Pifise : c’est translucide.
En transe mais lucide j’ai dû faire un choix : garder le Pifise, le nourrir, et avoir enfin un petit copain sympa pour mon gamin, ou bien l’abandonner au tout à l’égout. Le garder c’était bien parce que pour une fois, un gadget Pif aurait duré plus d’une semaine, mais le garder c’était s’attendre à le voir claquer (voir la taille de l’ersatz de pseudo crevette) et imposer un deuil difficile à mon fils. Mon p’tit fils, son Pifise, quitter l’un, garder l’autre, je n’y comprenais plus rien.
Alors j’ai reversé un peu de poudre dans l’eau, en attendant le lendemain.
J’ai perdu les gamins dans le supermarché et je leur en veux un peu parce que je ne voulais pas y aller au supermarché, mais nous étions pas loin et nous devions acheter une paire de ciseaux de cuisine, modèle ciseaux de cuisine qu’on ne trouve qu’au supermarché. Je me promets à moi-même que je n’y retourne pas et j’y retourne, jamais seul sinon je me perds tout seul, alors accompagné des enfants j’y consens, ils me tiennent la main pour ne pas que je me perde. Mais j’ai viré à la parapharmacie pour acheter un shampoing que j’aurais trouvé moins cher à la pharmacie et je leur ai dit « on se retrouve là, trouvez-moi des ciseaux de cuisine ». Ils ont trouvé les ciseaux de cuisine mais leur papa n’était plus là, pas ce là-la en tout cas, j’ai commencé à transpirer un peu et à bousculer des gens avec mon caddie où il n’y avait que du shampoing, je me suis dit que ce serait bien la honte si l’annonce annonçait et l’annonce a annoncé. « Grand Frère Lion et Bébé Lionceau attendent leur papa à l’accueil du magasin ». La honte, surtout qu’il a fallu le trouver, l’accueil, plus difficile à trouver qu’une paire de ciseaux de cuisine, j’ai demandé au vigile de m’indiquer, il m’a indiqué de passer par les caisses, à cause du shampoing dans le caddie, je lui ai laissé mon shampoing et j’ai foncé à l’accueil.
Point de larmes mais deux enfants rigolards qui se foutaient un peu de moi et la gentille dame s’y est mise aussi. Ce n’était pas fini : il fallait régler le problème des ciseaux de cuisine, régler les ciseaux de cuisine pour être en règle, alors il a fallu choisir : laisser les enfants à l’intérieur, avec les ciseaux, c’est-à-dire rentrer dans le magasin, repasser devant le vigile, faire le tour par l’intérieur, se perdre, passer aux caisses, récupérer les enfants, rentrer de nouveau dans le magasin pour finir les courses. Ou bien récupérer les enfants sans les ciseaux et repartir bredouille, sans les ciseaux de cuisine. La gentille dame m’a proposé d’encaisser les ciseaux en passant devant tout le monde et de partir dignement, son regard suggérait que je ne remette plus les pieds dans cette officine (dédicace à mon Paternel). J’ai pris les enfants, laissé les ciseaux, on a fait le tour pour retrouver l’entrée, ce que c’est con un supermarché, on a baissé les yeux devant le vigile, les enfants m’ont montré le rayon des ciseaux de cuisine et on ne s’est plus quittés. Ils sont marrant mes gosses : ils savent que s’il ne faut pas me lâcher, dans les supermarchés, c’est surtout pour ne pas que je me perde. La pagaille à tous les rayons, on a mis une heure et ce drôle de sentiment que tout le monde nous regardait.
J’ai acheté des acras de morue et de supermarché. L’hiver est passé mais je ne passerai pas la nuit.
La vie poursuit son trop court : ma fille fait la bombinette dans son legging dont je ne suis pas sûr de l’orthographe et mon fils se pose des questions à propos du collège dont je ne suis pas sûr de l’orthographe non plus. Je lui réponds CM2. Le monsieur de l’agence me dit qu’on peut transformer le rez-de-chaussée en studio indépendant des fois que ça arriverait vite. Ils se marrent quand je les perds dans le supermarché. Une pensée pour une belle Espagnole et pour un Chinois pas terrible : « Ma mère m’oubliait régulièrement dans les caddies de supermarché. Alors, pour retourner l’attention sur moi j’ai cherché des moyens de me faire remarquer. J’ai fait du théâtre. »
Le temps viendra où il faudra bien leur parler du théâtre. J’espère que ça les fera marrer. C’est tous les jours de toute façon, le théâtre.
Grand Frère Lion qui part en classe de découverte c’est un événement dans une vie alors pour sa production d’écrit du lundi il a écrit dans son cahier qu’il n’était pas très motivé et que la perspective de partir une semaine loin de sa maman de son papa et de sa petite sœur, « ça ne lui allait pas trop ». Puisque c’était écrit sans erreur, dans la marge, la maîtresse a noté « TB ». Très bien, très bien, fallait le dire vite : nous n’étions pas rassurés.
Ils ont constitué les chambrées en classe, chaque élève devant proposer deux copains. Grand Frère Lion a indiqué qu’il voulait bien dormir avec E. et L., mais comme L. a préféré être avec S. et que E. a souhaité partager une chambre avec Y., notre petit garçon s’est retrouvé avec quatre copains qui n’en étaient pas. Mais il avait l’air de s’en foutre un peu. Je crois qu’il n’a pas vraiment de copain, alors du coup ça n’avait pas d’importance.
Il s’est montré finalement plutôt partant à l’idée de partir. Je lui ai sorti une valise, sa maman l’a remplie. Il a glissé un doudou dedans, un koala qu’on a naïvement nommé John et qu’on a toujours affublé d’une origine australienne, du coup il parle avec un accent australien, mais je ne connais pas bien l’accent australien alors disons qu’il a un accent british et qu’il ne connaît pas tous les mots, on le fait souvent parler ce doudou, depuis que Grand Frère Lion est né et maintenant qu’il a neuf ans ce doudou continue de lui parler, souvent, avec son accent mal bricolé et les mots qui lui manquent. J’ai dit à mon fils qu’il serait sans doute le seul à avoir un doudou et qu’il fallait peut-être le laisser dans le rabat de la valise et ne le sortir qu’en cas de chagrin mais non, à ce moment-là autant ne pas l’emmener, et comme ne pas l’emmener c’était ne pas partir, ben John serait du voyage et resterait pendant la journée sur son oreiller, comme à la maison, comme à les maisons.
Il y a eu un blog de classe, c’était sympa, on a pu voir notre fils en virée avec ses copains, enfin avec ses camarades de classe. Pas de photo de John, mais plein de photos de tous ces mômes bientôt grands qui prennent la pose en faisant le V de la victoire. Des mamans bizarres ont laissé des messages bizarres et un peu culpabilisants : « tu me manques Machine », dans ce goût-là. J’ai eu envie de commenter les commentaires mais j’ai fermé ma tronche et mon ordi. Pourtant mon fils me manquait. J’ai croisé une maman un matin en déposant ma fille, je lui ai demandé si ça allait, elle m’a dit que sa fille lui manquait, et qu’une semaine sans elle c’était dur. J’ai bafouillé que tout cela était question d’habitude.
Le jeudi, c’était boum. Un événement de la plus haute importance pour la plupart des enfants, plus important en tout cas que l’Aven d’Orgnac ou la grotte de la Salamandre. Pour notre petit grand garçon, la boum, c’était plutôt la corvée. Comme la maîtresse avait informé les familles qu’on pouvait s’y déguiser, Grand Frère Lion a emmené son déguisement de pompier. Je ne suis pas sûr qu’il ait fait beaucoup de conquêtes à la boum. En tout cas, d’après ce que j’ai compris, c’était le seul enfant déguisé. C’est pas une préadolescence qu’il nous fait : c’est une post-enfance. Ca me touche beaucoup, ce manque d’appétence profond pour l’adolescence. Je suis fier de lui, de son doudou australien et de son costume de pompier. Et puis des fois ça me fait de la peine. Je m’en fous parce qu’il est beau comme un astre et que le Soleil, il aurait pu l’inventer, mais il y a comme un décalage et les gens décalés ne sont pas toujours très heureux. Je ne suis pas certain qu’avoir Michel Delpech comme idole à neuf ans soit très rassurant.
Je trouve ça séduisant, être précoce et en retard à la fois.
Alors heureux, l’a-t-il été cette semaine ? Il est descendu du bus assez fatigué, il s’est plaint du bruit mais il avait passé une bonne semaine. Nous lui avons demandé si les autres enfants avaient emmené un doudou, mais non, il était le seul. Et qu’est-ce qu’il s’en foutait ! Doudou s’en fout, au mois d’août on mettra les bouts, peut-être à l’Aven d’Orgnac, il se souviendra de tout et ce sera chouette.
Hier soir j’ai taquiné un collègue ami au prénom composé et j’espère qu’il ne l’a pas mal pris, il était le seul déguisé pour le film d’école et j’ai trouvé ça mieux que tout, puisqu’il m’a fait penser à mon fils.
Ma semaine, je l’ai passée seul avec sa sœur, donc pas tout seul. On a passé une chouette semaine, on est allé au jardin mercredi, on le fait souvent mais c’était extraordinaire parce que Grand Frère Lion n’était pas là. Mais enfin il était bien temps qu’il rentre et sa sœur l’a serré très fort, quand il est descendu du bus.
J’aime beaucoup qu’il ait l’air indifférent alors que tout cela le touche énormément. J’aime bien qu’il ait l’air indifférent et qu’il soit si différent. Sa maman m’a raconté une anecdote que j’espère garder en mémoire toute ma vie : quand elle l’a déposé au bus, lundi dernier, un de ses camarades avait une valise énorme. Maman Lionne a demandé à cet enfant pourquoi sa valise était si imposante et le camarade de mon fils lui a expliqué qu’il avait pris plein de pantalons de jogging, un par jour parce qu’il aimait bien se rouler dans l’herbe et qu’il avait bien l’intention de se lâcher sur le jogging boueux pendant cette semaine, ça servait à ça une semaine de classe de découverte. Alors notre fils lui a répondu que c’était un peu pareil pour lui : il avait mis un boxer en plus dans sa valise, au cas où il avait un accident.
Il faut que je me souvienne de m’en souvenir toute ma vie.
Puisqu’elle a six ans c’en est fini des caprices et d’ailleurs elle se douchera sans que je l’aide. Elle l’a dit quand elle avait 5 ans, c’était avant-hier. Nous avons fêté son anniversaire chez sa maman hier après-midi, j’ai été le premier invité à arriver, elle m’a ouvert la porte en ricochant dans tous les sens, genre salut je te préviens je suis super excitée, d’ailleurs j’avais des fleurs à la main, pour elle et pour sa maman et même une fleur coupée pour son grand frère, ça ne l’a pas calmée, elle m’a dit qu’elle allait les mettre dans un peu d’eau, je crois qu’il faut être grande pour dire un truc comme ça : « je vais les mettre dans un peu d’eau ». Elle a demandé un vase à sa mère, c’est certain : elle avait changé pendant la nuit. Enfin elle était quand même très excitée : ils arrivent quand ?
Ils ont fini par arriver, c’est marrant les gamins de 6 ans parce que c’est tout content d’arriver mais ça ne veut pas forcément entrer, il faut tendre un peu la main et ma grande fille a été très accueillante, elle a montré les fleurs à tous ses copains. Ils ont eu l’air de trouver ça bizarre comme cadeau, des fleurs. « Bon ben… » ont-ils tous eu l’air de dire en tendant leur propre cadeau à ma fille, et on a dit un peu pareil à leurs parents pour qu’ils s’en aillent : « bon ben… ». On a pris les numéros de portable au cas où, d’ailleurs on peut se demander au cas où quoi, mais enfin c’est l’usage, comme « merci et bon courage – Pas avant 17h30 hein ».
Mais on ne les a pas tous raccompagnés à la porte, la maman des jumelles nous a fait un drôle de caprice, elle a dû sauter son anniversaire des 6 ans celle-là, quoi qu’il en soit elle a d’abord sorti deux paires de chaussons pour ses fifilles, faut reconnaître qu’ils étaient pas mal, Reine des neiges et compagnie, on s’est regardés un peu amusés avec la maman de Bébé Lionceau et de Grand Frère Lion, parce que les trucs amusants ça continue de nous amuser beaucoup, mais on a moins rigolé quand la maman des jumelles a sorti une troisième paire de chaussons : les siens. Des chaussons Reine des … , et la voilà sur le canapé à jouer avec les enfants, surtout les deux siennes. Bon. J’ai eu peur qu’elle donne toutes les réponses à la chasse au trésor mais non, elle a tenu sa langue et son téléphone portable.
C’était chouette en tout cas. Je n’avais plus mangé de banane Tagada depuis trente ans : c’est infect ces machins là et j’en ai quand même mangé plusieurs. C’est infect et on s’en rend compte après coup. Alors que les fraises, elles, sont toujours excellentes. Et de saison.
Et puis ça a été 17h30, la maman des jumelles a rangé les trois paires de chaussons dans son sac et remis ses bottes, elle a au l’air d’avoir passé un très bon après-midi. Les enfants se sont bien poilés et nous n’avons pas déploré le moindre dégât matériel ni humain. Mes enfants ont une maman formidable. Avant de partir, une maman m’a demandé, à moi, si ça faisait longtemps qu’on habitait le quartier. Je lui ai expliqué que je n’habitais pas là. « Bon ben…merci » et puis elle est repartie.
J’ai un peu aidé Maman Lionne à ranger, mais enfin je ne savais pas trop où ranger les choses, et comme j’étais venu sans mes chaussons il a fallu repartir. « Bon ben…merci ».
Bon ben de rien. On s’est souri et puis je suis parti.
D’ailleurs, pour une fois, ma fille ne m’a pas demandé de rester. Je crois qu’elle a 6 ans, maintenant.
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( Comme les premières années du blog ont disparu, voici ce qui s’était passé pour les 6 ans de Grand Frère Lion. C’était il y a plus de trois ans, en décembre 2013.
Mercredi dernier, la maison était the place to be. Grand Frère Lion nous avait gonflés pour qu’on mette des ballons partout et qu’il y ait des jeux comme l’année dernière. Jeux, jeux jeux, je lui dis, mais enfin, il n’y en a que pour toi : non, il répond, pour moi et mes poteaux. Alors nous lui avons concocté l’anniversaire qui lui assurer sa réputation de petit mec le plus cool de sa classe de CP.
Ils sont arrivés bien à l’heure et tout timides. N. a mis sa plus belle robe et M. son plus chouette jogging. En guise d’amuse-bouche, le garage et la dînette ont fait sensation. Puis ça a été la queue de l’âne (le remake de l’an dernier, mais une valeur sûre), la pêche à la ligne (idem) et enfin l’atelier marque-page, l’occasion pour moi de sortir ma plastifieuse qui va m’assurer la réputation du papa le plus cool du CP, sauf auprès de M.A. qui depuis le début préférait continuer sur les petites bagnoles. Les marque-page plastifiés, Grand Frère Lion nous a demandé de sortir la patoune – là, sa réputation de mec le plus cool a pris un coup dans l’aile, ils l’ont tous regardé en écarquillant les yeux, c’est quoi la patoune ? Ben la pâte à modeler, balance-t-il. Ouf, ils ont ça trop cool comme nom, la patoune. Sensation, là encore. Oui, patoune, petites voitures et dînette pour des gamins de 6 ans. Je crois que le mercredi leur fait du bien (n’en déplaise à celui dont « la réforme…s’il savait etc. »).
Et enfin a sonné l’heure du gâteau et des cadeaux. Les cadeaux, les cadeaux, j’ai lancé, et ils m’ont tous suivi. Grand Frère Lion a ouvert ses cadeaux soigneusement, a dit ouah pour chacun, a eu un mot gentil pour chacun et a fait un bisou à chacun, sauf à M.A. qui a préféré qu’on lui serre la main, c’était bien mignon tout ça. Alors j’ai fini par dire que c’était bien mignon tout ça, mais que si on mangeait ? Le gâteau, le gâteau j’ai lancé, et ils ne m’ont pas suivi parce que Maman Lionne arrivait déjà dans le salon avec son gâteau de fou. On a quand même chanté Joyeux anniversaire en français, en anglais, en espagnol, en portugais et en arabe. Sauf M.A. qui a chanté Papaouté. On s’est régalé, et puis ils sont tous partis se laver les mains et se sont remis à jouer, jouer, mais enfin ils ne pensent qu’à s’amuser ces petits ? Ben oui.
Et ça a été l’heure des mamans. M.A. a haussé les épaules quand sa maman lui a demandé si il s’était bien amusé. D. a dit à son père qu’il devait acheter une plastifieuse, mais le père était en warning devant la maison, je ne sais pas s’il a été d’accord. N. ne voulait plus partir, elle en a pleuré. Comme il a fallu la consoler, ça a pris du temps, Grand Frère Lion lui disait qu’elle pourrait revenir quand elle voudrait et ça la faisait encore plus pleurer, alors j’ai fait un peu plus connaissance avec sa mère et avec celle de S. Elle sont plutôt sympa ces mamans. Elle sont toutes voilées, je voulais leur poser plein de questions sur le voile : si elles le portent chez elles, si elles le portent sincèrement par plaisir, ce qu’elles pensent de Maman Lionne qui a les cheveux tout lâchés, si N. et S. devront en mettre un sur la tête quand elles seront plus grandes. Mais enfin nous ne sommes pas si intimes. Et puis je voudrais que N. et S. reviennent l’an prochain, alors j’ai remercié leurs mamans d’avoir gâté Grand Frère Lion et leur ai poliment serré la main. L. voulait bien partir, elle, mais c’est son grand frère qui voulait rester, et sa mère aussi qui nous a bien pris le chou avec ses charges contre la maîtresse. Elle nous avait déjà fait le coup l’année dernière : les maîtresses mettent soit disant la barre trop haut. Nous avons peiné à nous en débarrasser, ainsi que du fils ainé qui ne se lassait pas de confectionner puis cuire des gâteaux à la patoune dans le four de la dînette et à qui je me suis surpris de dire qu’attention, la grille était sans doute chaude. Mais enfin ils sont tous partis, nous nous sommes retrouvés enfin seuls avec nos milliers de miettes de patoune à balayer, la plupart déjà sous nos semelles ce qui faisait toujours ça de moins à ramasser.
Grand Frère Lion nous a remerciés. Il était content d’avoir ses potes. Il n’a pas toujours été comme ça, Grand Frère Lion. Mais à six ans, il est encore souvent dans son monde, notre fils. Le voir dans son univers nous a fait du bien. )
Je ne sais pas trop comment faire pour l’anniversaire de ma fille que je n’appelle plus Bébé Lionceau tant elle mute en Grande Gazelle. Elle m’a demandé du roblochon, j’ai beau lui expliquer que ça s’appelle du reblochon et que ce n’est pas bon, elle n’en démord pas, elle veut mordre dans du roblochon, vu qu’elle ne mange pas grand chose j’ai presque envie de lui planter des bougies dans un grand reblochon qu’on partagera avec amour et s’il en reste elle le mettra dans son terroir pour le finir le lendemain matin. Elle voudrait aussi des légos et des robes et un stylo et des mandalas. Et un appareil photo, c’est l’effet mère, elle immortalisera l’éphémère et les rides, l’éphéméride moins quelques pages, faut que je me bouge et que je trouve mieux qu’un fromage de Savoie fluette. Un petit roblochon et un gâteau au chocolat et tout ira bien Papa. Elle votera pour moi aux présidentielles et si on gagne on repart à la montagne, fallait la voir à la montagne, gavée de neige, la luge, l’Eden, devant la maison la reine déneige à grandes pelletées vertes et dommage que les bonshommes aient fondu : on avait prévu de les ramener à la maison.
Un roblochon, des dobardeurs, une partie de Nomopoly et peut-être une consultation chez l’autophoniste tant elle dézingue les syllabes et c’est très bon parce qu’à chaque fois son frangin la reprend et moi je cligne de l’œil dans le vide en me disant qu’il faudrait l’enregistrer mais je n’ai jamais rien pour l’enregistrer. Quand ils repartent pour une semaine j’ai le cœur taillé en tout petits morceaux, pas celui à réécouter des extraits d’enfance alors je laisse retomber la sauce papa, je range la chambre, je dérange les légos dont elle est Friends et les plaies mobiles. C’est comme ça quand on a ses enfants à mi-temps : on en profite pour deux semaines et puis on range dans les petites boîtes.
J’ai des bons films d’elle, c’est classé dans des dossiers à la nomenclature oublieuse comme 2016 > Eté 2016 > Bretagne, des trucs qui mouriront puisqu’il faut bien mourirer un jour quand mon ordi aura enfin cané, une VHS aurait aussi mal fait l’affaire, HS. Ca ne sert à rien de prendre des photos, filmer est encore plus con, il vaut mieux s’en foutre plein les mirettes et les naseaux, cette odeur d’enfant qui ne s’est pas lavée depuis trois jours et qui pue bon, il ne faudrait plus qu’elle se lave pour que je garde son odeur de peau dans l’appartement quand elle n’est pas là, sa peau tiens faut en parler : elle voulait prendre des couleurs à la neige, elle avait dû entendre parler des couleurs qu’on prend à la neige, elle n’a pris que trois taches de rousseur sur ses belles joues vanille, j’aurais dû les prendre en photo mais je n’ai pas d’appareil photo, constellation sans consolation, j’ai mis de la crème sur son nez, c’est les dermatos qui disent qu’il faut le faire, alors je l’ai fait, ben je n’ai eu que du blanc et trois taches mal nommées. Elle est belle et j’en suis amoureux, cette petite fille c’est le nirvana qui ne sent pas encore le teen spirit. Ca viendra assez vite.
Un roblochon. Ben elle me coutera pas cher pour ses six ans, ma jolie gamine.
Ca se passe chez leur maman, Grand Frère Lion a dû faire son pénible comme il sait faire quand il fait son pénible avec sa petite sœur qu’il aime et qu’il n’aime plus, en fonction de ses jouets et sa propension à les lui prêter et quand on sait qu’elle les prêterait à la Terre entière des fois je trouve qu’il exagère en tout cas l’anecdote m’est racontée au téléphone et je ris à gorge déployée dans la rue, ça ne fait pas tellement de bruit parce que je suis un garçon discret mais j’imagine la scène alors j’essaie de la retranscrire. Elle est fâchée, il a dû la traiter de bébé, ça ne se fait pas, est-ce que je la traite de bébé moi ma Bébé Lionceau ? En tout cas elle fait la tronche d’après ce que je comprends ou j’imagine, elle snobine, elle doit minauder et pétassouiller un peu, le Cœur, trop belle tout ça, et voilà qu’il a envie de nouveau de jouer avec elle. Alors il présente ses excuses, c’est à la mode, tout était légal mais il présente ses excuses, il voudrait bien qu’elle rejoue avec lui et lui fait passer un petit mot. Oh, rien d’obséquieux, faut pas exagérer, c’est un lion, un fauve une bête, « excuse-moi tu veux bien rejouer avec moi ? » Il convoite sans doute un Légo Friends (foutu genre) ou le petit accordéon (genre foutu pour foutu), en tout cas la princesse des neiges ne dégèle pas : elle fait durer le plaisir, monter les enchères, pousser la concurrence, rend fou son petit homme de grand frère, ça se joue par petits mots griffonnés et punaise ce qu’il écrit mal, toujours est-il qu’elle ne sait pas encore écrire, son drame, sa croix, sa grande section, et puis alors que l’autre bave à sa porte elle demande à sa mère, l’air de rien, tout dans cet air, « NON, ça s’écrit bien N-O-N ? ».
Caractérielle. La guêpe qui fait mouche.
Ils étaient hier à Marne-la-Vallée, dans le grand parc à souris taille humaine, ils se sont régalés. Mais au téléphone tout de même Grand Frère Lion s’est étonné auprès de moi : pourquoi y avait-il autant d’adultes avec des oreilles de Mickey sur la tête ? Il a aimé les montagnes russes mais pas trop les touristes polygénérationnels, et ces hordes d’adultes dans son monde d’enfant. Il aurait bien fait le ménage dans les manèges, filtré les visiteurs par âge, au final il aurait voulu avoir le parc pour lui, sa sœur et sa maman, mais je crois qu’il a kiffé, et si j’ai bien compris il me revient avec un doudou Pluto qu’un magnet. On fonce, enfance.
L’enfance s’arc-boute et ça fera bizarre quand ça lâchera prise. Grand malin, petite futée, graine de star et princesse. J’ai encore la main et le nez sur les baisers esquimaux bientôt esquivés. Un dernier, dernier des derniers, et puis un jour le dernier. Des derniers. L’enfance pose des jalons. La partie est facile quand il faut dormir, je suis bienvenu dans le super lit superposé, on pourrait se superposer comme qui rigole et on rigolerait bien. Ah les belles promesses en attendant d’autres séparations. Daddy daddy I’m gonna leave you. Il ne faut pas aimer trop fort, il y a des déconvenues. T’es mignon, je peux témoigner. Moi si j’étais Mickey je mettrais des tartes aux adultes à oreilles de souris et je dévalerais le train de la mine avec des enfants que je choisirais parce qu’ils ont l’air sympa. Genre les deux miens.