Dix ans c’est le baroud d’honneur pour lequel la figure s’est imposée comme chaque année sous la forme d’un après-midi avec ses semblables assez dissemblables et les gamines ont bien profité de la piñata sous le figuier dont les branches sectionnées n’avaient pas pu faire office de toit de cabane, faute de temps, de talent, d’espace, de culture de la cabane, et dont l’une d’elle a permis de faire voler en éclat la baudruche endurcie à la colle d’où a jailli une nuée inespérée et pourtant attendue de bonbons aussi multicolores que dentophobes. Elles le font chaque année. Ca le fait chaque année. Nous avions gavé la baudruche copieusement, subtile mise en bouche avant le gâteau sur lequel les bougies ne se sont pas rallumées (les enfants grandissent), ce gâteau pour lequel on chante faux, qui anime les petits cœurs et fait briller les yeux d’une enfant qui ne le sera bientôt plus, depuis le temps que je le dis, que je le sais, que je le redoute, car après elle le déluge et le déluge n’augure rien de bon. Elle avait les yeux mouillés, c’est con de faire des enfants comme soi mais on ne contrôle pas. Elles ont ri aux éclats de la piñata et elles ont mis les assiettes dans le lave-vaisselle et c’est à ces détails électro-ménagers qu’on constate que ce ne sont plus les mêmes, et pourtant ce sont les mêmes chaque année, charmant cénacle haribophage que je m’amuse à voir grandir puisqu’il faut bien s’en amuser. Nous lui avons offert un jonc, je l’aurais aimé en or, elle l’a préféré en argent, ça valait moins d’argent, je n’ai pas insisté et j’ai été reconnaissant. Quand les derniers parents sont venus récupérer leur enfant, ma fille m’a dit merci, je lui ai dit que le plaisir avait été partagé et c’était vrai. Au rythme où vont les choses, la vie, les enfants, je ne suis pas certain qu’on occira la piñata pour ses onze ans. Nous verrons bien. Je ne tirerai ma révérence de papa gâteau au chocolat que lorsqu’il le faudra vraiment. Je lui ai confié que mon grand-père m’avait annoncé qu’on a à tout jamais deux chiffres à son âge à partir de ses dix ans, et que ça m’avait marqué. Je l’ai traumatisée. On n’a plus des breloques au poignet, mais de l’argent, à dix ans. On écoute l’excellent Aldebert avec moins d’amusement et une fine pellicule de poussière grise s’invite dans le décor des lego. C’est bien, on me dit que c’est bien, que c’est grandir, moi j’ai un problème avec l’enfance, ça me touche trop, l’enfance, un compte à régler ou des réminiscences, j’étais heureux, elle l’aura été aussi, nous avons fait ce que nous avons pu. Nous n’avons pas trop mal fait.
Allez va, dix ans c’est bien. « Je sais que c’est pas vrai » chantait la Souche.
Elle a mal au dos, elle chausse du 36 et elle écrit des mails. Je crois qu’elle écrit un roman, aussi. C’est bien, ça. Un roman.
Mon roman à moi c’est eux deux, le grand là, dans son informatique, ça me dépanne qu’il soit doué, c’est pratique, je ne comprends pas tout mais ça dépanne, lui ce n’est pas de la poussière dans ses lego, c’est de la poudreuse, je voudrais qu’il déneige mais il a encore à cœur de les avoir dans un coin, même si c’est pour l’exposition. La rétrospective. L’hommage : « 2007/2017, dix années de lego ». Quand il avait huit ans, il voulait faire Michel Delpech plus tard. Plus tard est arrivé, je ne sais pas trop où il en est de son projet.
Sa sœur est drôle, aussi. Elle me dit que c’étaient les dix plus belles années de sa vie. A qui le dit-elle. Je l’embrasse quand même quand elle se couche, le soir de ses dix ans, l’air de rien, je l’embrasse avec dignité, je ne lui dis pas à quel point j’ai aimé les zigouigouis miam-miam et le gâteau trop chocolaté de cette belle journée de mars où le printemps s’est montré un peu plus imminent que les années passées.