L’avantage de l’ersatz de Noël est de démultiplier l’ubiquité du grand Barbu. Je me suis rasé pour l’occasion des fois qu’on me prenne pour lui et qu’on n’y croit plus, ni à lui ni à moi. C’était joyeux et j’en suis reconnaissant aux organisateurs de la fête ainsi qu’aux présents généreux générant de généreux présents.
Le futur à présent. Un lendemain plein de rogatons de papier cadeau qui jonchent le sol et parmi lesquels traînent un poney sans queue, un légo sans tête, un Noël sans l’un ni l’autre ni eux deux. Dans la voiture avant de nous quitter nous faisons les cons et Bébé Lionceau me rappelle que je lui avais promis quelque chose. S’il s’agit d’un cadeau sur la liste et que j’aurais oublié, c’est qu’elle sait, pour le Père Noël. Mais non, la promesse, c’était de l’emmener à la neige. Oh pauvrette mais ça c’était avant le dérèglement climatique et son grand frère goguenard précise que pour qu’il neige, il faudrait déjà qu’il pleuve. Il est bon, il est très très bon, le genre à croire encore au Père Noël. Nous nous quittons et nous donnons rendez-vous à un autre vendredi. Ou la vie sauvage qui reprend. Mais pour que cette séparation soit moins cisaillante, l’angelote à son Papa qui ne sanglote pas se retourne, fataliste puisque vient l’heure de l’être : « Papa, bientôt c’est l’été ».
Je ne sais pas pourquoi elle me dit ça, mais alors que l’hiver n’a pas vraiment commencé, ça va me faire la semaine et je reprends ma voiture avec le sourire.
Comme il paraît que les traditions se perdent je m’efforce de les perpétuer et à défaut j’en instaure de nouvelles comme celle de dîner en musique quand il faut se rendre à l’évidence que c’est le dernier soir avec les enfants avant une longue semaine avec soi-même.
Nous établissons un ordre simple : Bébé Lionceau puis Grand Frère Lion puis de nouveau Bébé Lionceau et ainsi de suite, de suite.
Bébé Lionceau envoie du bois : elle demande un Papaoutai, comprendre un Stromae. En l’occurrence Papaoutai. Je suis entre eux deux et deux bouchées, on monte déjà sur la chaise et le cucul en arrière, c’est samedi soir sur la Terre. Je m’atterre puis joue le jeu puisqu’il est question de je, donc de moi. Bébé Lionceau met la paume vers le ciel et la monte au rythme du bon son, non mais je rêve ou quoi. Papaouquoi.
Au tour de Grand Frère Lion. Sans transition mais en transe et avec du son, c’est un petit Hugues au frais qu’il quémande. Mais je ne le trouve pas sur mon dix heures, alors à défaut le petit garçon demande Noël des enfants du monde.
Nous chantons donc Noël des enfants du monde et, accablé de questions, accablé tout court, attablé tout lourd, je lui explique la Palestine, les Chinois, les Juifs, les Musulmans, les athées. C’est indigeste. D’un geste Bébé Lionceau fait comprendre que c’est à son tour et ce sera un autre Papaoutai.
Nous écoutons une chanson qui n’est pas pour les enfants et les régale pourtant, je réprime les pieds sur la table. J’ai dit sur la chaise, il ne faut pas exagérer.
On écoute Alors on danse. Alors on danse.
Toute ressemblance avec des personnes existant s’explique par les gènes et si y’a de la gêne…Bref le petit d’Elle danse au son des basses sur sa chaise haute et je tente un « Je vous demande de vous arrêter » balladurien qui se perd entre Etterbeek et Laeken. J’ouvre une Heineken entre les tours de Bruges et Gand.
De nouveau le tour du petit Grand qui voudrait vraiment, mais alors vraiment qu’on écoute Ali ouante fort christ masse. Ca groove au 63 rue R.
Je manque de sommeil, je suis sans nuit, Bébé Lionceau s’ennuie sur All i want for Christmas. Faut dire que c’est limite pénible mais Grand Frère Lion bat le rythme avec son index et c’est quand même ça de pris. Je le soupçonne de croire encore au Gros Barbu, je la soupçonne, elle, de ne plus y croire et voilà que la fin du repas entre si proches approche. C’est à son tour et elle choisit la chanson des chansons, le titre qui la fait vibrer depuis toujours : Lola qui s’appelle en fait Morgane de toi. Grand Frère Lion me demande si la fille de Renaud s’appelle Morgane ou Lola et j’en perds mon lapin qui est partie trémousser son pyjama dans le salon.
Nous dansons un slow.
Le frêle à se taire chante que sa fille est la seule gonzesse etcétéra sans se démettre une épaule et moi je démets la mienne en tenant la mienne mais c’est bon quand même. Puis vient le moment de se brosser les dents, comprendre les lui brosser les siennes.
Elle me regarde de ses grands yeux tout ronds, ses yeux d’amour tout neufs, ses yeux de petite fille de quatre ans qui aime son Papa surtout quand il lui brosse les dents. Elle a un truc à me dire important, je le sens que c’est important parce que ses yeux sont encore plus ronds qu’à l’accoutumée mais elle ne peut pas parler la bouche pleine. Un truc par rapport à Stromae ou aux semaines alternées ou à l’école, je ne sais pas, elle crache un peu partout et je lui lave le joli visage. Je lui brosserai les dents aussi longtemps qu’elle voudra.
« Je vois pas de saletés dans ton nez quand tu me brosses les dents ».
Bon ce n’était pas essentiel mais je suis aise quand même c’est toujours ça de pris, aussi. Je prends tous les compliments.
« Je vois pas de saletés mais je vois des poils ».