On a passé trois jours pleins en plein Paris, on ne va pas se plaindre. On a laissé la voiture près de la gare, Bébé Lionceau était inquiète, elle avait peur qu’on lui pique ses vignettes de supermarché, il en faut 52 pour avoir pas cher (à vérifier) un couteau aztèque, elle avait peur qu’on se fasse braquer la caisse pour des vignettes donnant droit à un couteau aztèque, alors elle a caché les vignettes dans le vide-poches qui contient eu égard à sa fonction tout ce qu’ont contenu toutes les poches de mes proches depuis 10 ans.
Le voyage, allez, s’est plutôt bien passé. Nous voilà à Paris. On s’est régalés. J’ai vu mes parents mon frère ma nièce et 10 millions d’autres personnes, c’était bien. On est monté à l’Arc de triomphe et on a descendu la Grande Armée, c’étaient les montagnes russes qu’affectionnait tant Napoléon. On a crapahuté, c’était bien, main dans la main. L’un avec ses grands-parents, l’autre avec moi puis vice-versa. On a vu le lapin du métro et le lion de Denfert. On a vu le petit chat des tontons et l’autre petit chat des tontons. On a cru mourir quand j’ai voulu rentrer à pied. On s’est amusé au Musée. Mon fils a dénombré les voitures aux moteurs hybrides.
Vingt ans à Paris, vingt ans loin de Paris. Je suis hybride. Mais les bouffées de thermique ont le bon goût de l’ancien.
Dans le train, le cœur déjà à la maison. Le voyage, retour, se passe dans l’autre sens. Je suis dans celui de la marche. On se tire. On se tire le portrait.
Gare de Lyon, l’amateur qui aurait mieux fait d’en faire sa vie jouait Padam. Je n’y aurais pas prêté attention il y a vingt ans. Aujourd’hui j’entendais Paname. Ca doit être normal !
Dans le train encore, ma fille dessine un smartphone. C’est un Aphone 15. Il coûte tout de même quinze mille millions d’euros. Elle a téléchargé des explications. Une d’elle permet de télécharger des couteaux aztèques. Mais il manque toujours une vignette. Heureusement, arrivés à demeure ou presque, la voiture est toujours là.
Jour après jour, nous complétons donc des collections.
Je me suis levé de bon matin et les enfants jouaient déjà à l’école des doudous dans une chambre, du coup j’ai joué à l’ « école de la confiance » dans mon salon en me connectant au Portail de saisie et de restitution des évaluations nationales (en vrai, le portail hébergé par Amazon mais qui dysfonctionne grave). Je suis un peu à la bourre pour saisir des évaluations de rentrée mais comme on les a eues en retard et que les élèves n’ont rien saisi et qu’elles ne servent à rien, les évaluations nationales, eh bien je ne me stresse pas trop. Les élèves, eux, étaient bien stressés quand il a fallu s’y coller. C’était écrit « Pour l’école de la confiance » sur la page de garde et on a reçu la consigne de bien leur dire qu’ils avaient le droit de se tromper et même de ne rien répondre s’ils ne savaient pas. Pour une fois, ils ont bien suivi la consigne. C’est pas mal de prévenir les enfants qu’ils vont se tromper, voire n’être capable de rien écrire. C’est « l’école de la confiance ».
« Peut-être que vous n’y arriverez pas. Ce n’est pas grave. Si vous ne savez pas, vous n’entourez rien et vous attendez que je lise le problème suivant. N’ayez pas peur, faites comme vous pensez. C’est important. ».
(Démerdez-vous.)
Il paraît qu’ils ont tout fait au ministère pour que les parents ne puissent pas se procurer le guide de l’enseignant pour la passation de consignes. Tu m’étonnes.
Ca nous a pompé une semaine de classe et de bonne humeur. Les élèves ont tourné les pages et n’ont pas vraiment compris pourquoi on leur imposait ça. Nous non plus ! Le temps des évaluations, il n’était plus temps de différencier, de manipuler ni d’encourager les réussites. Il s’est agi de se repérer tant bien que mal dans des formulaires A4 interminables et rigides jusqu’à la passation de consigne qu’il nous a été demandé de formuler verbatim, deux fois, à quinze secondes d’intervalle.
Le langage oral n’a pas été évalué. Ni la créativité des élèves. Ni leurs compétences motrices, ni leur santé, ni leur équilibre. C’est pourtant dans les programmes et ça vient du même ministère. On est en droit de s’interroger : le connard qui a conçu ces évaluations, il ne se foutrait pas un peu de notre gueule ?
Alors je me suis bourré le crâne (l’an prochain, la tronche) ce matin tôt, parce que mes enfants étaient pris par l’école des doudous et surtout parce que du lundi au samedi entre 8h et 23h, le serveur bugue. C’est rageant parce qu’on n’a pas envie de le faire, vu que c’est contre-productif et qu’on a aussi sa semaine à préparer et qu’on aimerait profiter de la vie, et bim ça bugue. Le fonctionnaire dysfonctionnant. On nous impose des outils dont on n’a pas envie et qui vont à l’encontre de l’intérêt des élèves, qui coûtent une fortune, qui engraissent Jeff Bezos et dont il faut faire remonter des données. Et puis ben…Ca bugue.
A l’Education nationale, on recrute des guignols qui font inscrire sur les formulaires d’évaluation « Pour l’école de la confiance », mais on n’est pas fichu de recruter un informaticien. Pas d’informaticien, pas de médecin du travail, pas de ressources humaines. Mais un Portail de saisie et de restitution des évaluations nationales (en vrai, le portail hébergé par Amazon mais qui dysfonctionne grave).
Et les publicités pour BMW ont remplacé Laspalès et sa Matmut sur France Inter ! Tout fout le camp dans le métier !
On lit sur l’écran « L’erreur suivant s’est produite : » ; mais on ne sait pas de quelle erreur il s’agit. C’est le même tarif pour les élèves. Ils auront tous fait des erreurs, mais je ne leur expliquerai pas lesquelles. J’aurai un tableau excel, un truc du genre, enfin je suppose. Je l’aurai peut-être au mois de janvier. On me dira alors que ce sera déjà l’hiver qu’à la fin de l’été, untel écrivait ses chiffres à l’envers et qu’il n’a pas identifié que lunettes finit comme pirates.
De toute façon, dans mon oreille à moi, en été comme en hiver, lunettes ne finit pas comme pirate mais comme planète.
Finalement, j’apprends que l’erreur qui s’est produite, c’est l’erreur 304. Me voila mieux. Je suis toujours bloqué.
Ca bugue et que ça re-bugue, même le dimanche matin, le Portail de saisie et de restitution des évaluations nationales(en vrai, le portail hébergé par Amazon mais qui dysfonctionne grave). Mais je ne me résous pas à me lever la nuit pour faire ça. Ils n’auront sans doute pas toutes les réponses de mes élèves, rue de Grenelle. Je serai mal évalué.
Je descends voir les enfants. Dans l’école des doudous, pas d’évaluations nationales. Le maître et la maîtresse ont l’air de bien s’entendre. Personne ne les empêche de travailler. D’ailleurs, à part Kiki qui est encore puni, les doudous ont l’air heureux.