Ma fille qui n’est déjà pas maladroite à l’école s’est mis en tête de jouer les bonnes notes à la maison aussi. Elle s’est mise à l’accordéon. Des fois on ne voit plus sa tête mais alors c’est qu’elle est derrière son instrument, à tirer puis pousser tout en comptant et sans regarder. Je la regarde et je l’écoute ; j’ai horreur de la valse musette, mais pas de l’accordéon.
Elle avait essayé le piano mais la béchamel était restée bémol. Il faut dire qu’elle s’y était mise à deux mi, ce qui ne suffit pas à faire un accord, pas avec son père qu’elle s’était mise à do, du coup. Il en restait néanmoins un petit acquis et, quitte à quitter le piano, cela fut pour y fixer deux bretelles.
C’est très touchant un enfant qui joue de la musique, et son professeur d’accordéon, un Monsieur qui a du cœur et dont le blase est Ruy, se montre des plus satisfaits – peu de chance que Ruy blase. Elle apprend docilement à lire les notes et elle chante très juste jusque-LA, soit de do à sol. Parfois, elle emprunte poliment le piano à son frère et se délecte à y jouer ses exercices d’accordéon. Ma polie instrumentiste sait y faire.
Son frère, parlons-en. Le piano ? Mon fils c’est Lang Lang, surtout la coupe de cheveux. Il aime le piano, le piano l’aime, mais il n’aime pas les partitions et les partitions le lui rendent bien. Elles se cachent, disparaissent, tombent derrière le piano. Il est plus fréquent de le voir débarrasser la table que de l’entendre déchiffrer des portées. C’est global chez mon fils, tout est global. La lecture, les mathématiques, la croûte terrestre, le fonctionnement d’un téléphone intelligent. Mon fils, c’est un téléphone intelligent. Il sait tout faire mais on ne sait toujours comment le lui faire faire. C’est le gamin le plus calé en nouvelles technologies de toute l’Occitanie. Mon fils, c’est l’Adobe provençal.
A propos, des fois, on se fait un bœuf. Le majeur et les deux mineurs. Mon fils et moi au piano, et ma fille à l’accordéon. Ils chantent, c’est beau, je chante d’un coup et d’un coup ça déchante. Le chromatique joue alors plus fort, couvrant le traumatique. Même mes demi-soupirs ne sont pas toujours justes. Je fais faux mais je fais fi, je retourne au piano, je fais fa mais septième alors parce que c’est plus beau, puis on déterre les plus inestimables poètes : Barbara, Brel. Dassin. Christophe. Mon fils haut de gamme de blues, ma fille portée sur legato, et moi dans le grave.