Avec un aplomb pas possible en ces temps de Covid, la maîtresse prévoit un ramdam théâtral pour Noël, et ce sera filmé pour si nous n’avons pas le droit de venir applaudir nos jeunes premiers du fait des fantaisies du confinement, ce qui sous-entend que nous nous contenterons d’une vidéo. Je l’admire cette femme. Poser la, comme ça, sur la table, que les élèves joueront une pièce de théâtre clandestine à Noël, je trouve ça délicieusement rebelle, irrévérencieux, interlope, ce qui d’ailleurs ne lui ressemble pas, si l’on en juge à sa gestion de classe (on comprend), à ses choix de chanson de Noël (on compatit), à sa pédagogie plus que traditionnelle (au moins on s’y retrouve), à son look plus qu’arrière-gardiste (on s’en fout). Ou c’est qu’elle n’est pas bien au fait de l’actualité. Ou alors qu’elle a des passe-droits à l’Inspection (pour ma part, je n’ai pas le droit d’emmener mes élèves à la natation ; le Covid a sur ce point-là du bon).
Le texte, le décor, l’intention, le théâtre en milieu stérile, tout cela reste à préciser, mais nous en savons un peu déjà sur les costumes, et les costumes, pour des enfants, c’est bien la seule chose qui compte. Pour les parents aussi du reste, attendu qu’une participation financière non-négligeable est demandée aux familles, justifiée notamment par la confection.
Alors c’est au choix, à la nuance près que je n’ai pas bien compris qui le fera, ce choix – ma fille est persuadée que ce seront les élèves, je suppose que c’est la maîtresse qui tranchera, si toutefois le projet va au bout, et vu qu’on est tous à bout… M’est avis que les intermittents du spectacle rient jaune et sous cape : une pièce de théâtre à Noël ! Choix du costume non cornélien (ils ne sont qu’au CM1) mais tout de même, ce n’est pas rien et ça se réfléchit à l’avance : ils seront dindons et dindes, ou princes et princesses. Père Castor ou Michel Ocelot, en quelque sorte.
Tête brulée la maitresse, mais pas au point de demander aux familles de choisir ; j’aurais probablement été le seul parent à opter pour la dinde. Oui parce que ma fille en princesse j’ai déjà vu, j’en ai fait le tour, elle a été princesse rose, puis bleue, et quel que fût son costume j’ai très vite compris qu’il ne faisait pas plus la princesse que le moine, même dans l’enseignement catholique. S’il m’était donné la possibilité de choisir son rôle, ma gamine ne serait pas EN princesse puisqu’elle EST princesse, elle est princesse à tout bout de champ, elle est princesse quand je la réveille et qu’elle sourit avant même d’ouvrir les yeux, elle est princesse quand elle dessine des princesses, elle est princesse quand elle me donne la main ou plutôt qu’elle accepte que je lui donne la mienne, car le temps, par petites touches, rend certaines habitudes moins habituelles, elle est princesse quand elle est vilaine, elle est princesse quand elle range son ours dans son sac à viande et qu’elle part une semaine entière dans son autre principauté.
Alors j’espère qu’elle jouera le rôle d’une dinde, une dinde belle à croquer, et tant pis si ça glousse. Je me demande à quoi ressemble un costume de dinde. Une si jolie gamine en dinde. Je veux voir ça. Mes élèves à moi en costume de dinde ça ferait des dindes d’élevage mal élevées, une très basse-cour de récréation, vu qu’ils sont gras comme des chapons et pas plus vifs que les pintadeaux. Mais ma fille, glissez-là dans un costume de dinde, elle donnera la plus belle farce de l’histoire de l’humanité.
Ou du théâtre filmé.
Vivement Noël.