C’est pendant le confinement, je ne sais plus lequel, il y a l’école à distance, à distance et de très loin, c’est nul. Comblant le vide en compagnie de Verlaine (« Va, tout est au mieux / Dans ce monde pire ! / Surtout laisse dire / Surtout sois joyeux »), néanmoins fou de ce quatrain – foutus poètes, hébétés éclairés, nantis du rien, du vide, des mots – en quête de réussite dans cette journée mal engagée, je me décide à enseigner les échecs à ma fille arguant qu’ils se jouent à deux et présentent ainsi l’intérêt d’être partagés, quand la réussite, paraît-il, se pratique seul.
Elle sait un peu, déjà. Je ne sais pas qui lui a appris.
Alors nous lançons de douces hostilités. Me prévenant prudemment : « Je suis nulle en échec et mat, mais je vais quand même gagner ». Son frère, du coup, lui aura appris les règles. Misant tout sur un coup du mouton mené par des petits chevaux qu’elle se plait à faire galoper à l’avant du front, l’ingénue Kasparova délaisse son arrière-garde composée d’une dame sans-gêne, d’un roi fainéant et de deux imbéciles qui vont et viennent en zigzag quand les chevaux sont à court d’haleine. Puisqu’elle prend le parti de la farce et la partie à la rigolade et qu’en plus c’est mon tour, je serre son roi entre les deux miennes (de tours) et c’en est fini. Elle m’épate mais ne me met pas pat.
J’accepte une revanche, mais une revanche, en revanche, en bonne et due forme : on prend les choses au sérieux et on écoute les conseils de son père. Elle n’écoute pas tant : belote et rebelote. Ou plus précisément échec et re-échec.
Pendant ce temps mon fils a la classe à la maison, donc la très grande classe, en pyjama notamment. Las de regarder les cavaliers de ma fille cabotiner, je lui cède ma place : qu’il continue donc l’instruction de sa petite sœur. Mais voilà qu’ils se chamaillent pour savoir qui va commencer, alors on dit que ce sont les blancs qui commencent, alors il faut choisir qui aura les blancs, alors on dit que celui qui commence la première partie ne commencera pas la deuxième, alors mon fils dit qu’il ne commencera de toute façon pas la deuxième parce qu’il a SVT à dix heures, alors nous tirons à pile ou face, mais il faut bien déterminer qui est pile et qui est face, alors nous tirons à pile ou face pour savoir qui est pile, mais il est pile dix heures, mon fils a son cours sur la reproduction, il ne veut vraiment, mais alors vraiment pas être en retard, et c’est ma fille qui commence, du coup. L’affaire est néanmoins de nouveau entendue en quelques minutes et nous remisons l’échiquier en haut de la bibliothèque afin qu’il prenne paisiblement la poussière ces dix prochaines années.
Mon fils est plus absorbé que jamais devant son écran. Ma fille tire les cartes et un peu la tronche. Je m’en remets à Verlaine, compagnon d’un jour de confinement : « Surtout sois joyeux / D’être une victime / A ces pauvres gens / Les dieux indulgents / Ont aimé ton crime. »