J’ai perdu les gamins dans le supermarché et je leur en veux un peu parce que je ne voulais pas y aller au supermarché, mais nous étions pas loin et nous devions acheter une paire de ciseaux de cuisine, modèle ciseaux de cuisine qu’on ne trouve qu’au supermarché. Je me promets à moi-même que je n’y retourne pas et j’y retourne, jamais seul sinon je me perds tout seul, alors accompagné des enfants j’y consens, ils me tiennent la main pour ne pas que je me perde. Mais j’ai viré à la parapharmacie pour acheter un shampoing que j’aurais trouvé moins cher à la pharmacie et je leur ai dit « on se retrouve là, trouvez-moi des ciseaux de cuisine ». Ils ont trouvé les ciseaux de cuisine mais leur papa n’était plus là, pas ce là-la en tout cas, j’ai commencé à transpirer un peu et à bousculer des gens avec mon caddie où il n’y avait que du shampoing, je me suis dit que ce serait bien la honte si l’annonce annonçait et l’annonce a annoncé. « Grand Frère Lion et Bébé Lionceau attendent leur papa à l’accueil du magasin ». La honte, surtout qu’il a fallu le trouver, l’accueil, plus difficile à trouver qu’une paire de ciseaux de cuisine, j’ai demandé au vigile de m’indiquer, il m’a indiqué de passer par les caisses, à cause du shampoing dans le caddie, je lui ai laissé mon shampoing et j’ai foncé à l’accueil.
Point de larmes mais deux enfants rigolards qui se foutaient un peu de moi et la gentille dame s’y est mise aussi. Ce n’était pas fini : il fallait régler le problème des ciseaux de cuisine, régler les ciseaux de cuisine pour être en règle, alors il a fallu choisir : laisser les enfants à l’intérieur, avec les ciseaux, c’est-à-dire rentrer dans le magasin, repasser devant le vigile, faire le tour par l’intérieur, se perdre, passer aux caisses, récupérer les enfants, rentrer de nouveau dans le magasin pour finir les courses. Ou bien récupérer les enfants sans les ciseaux et repartir bredouille, sans les ciseaux de cuisine. La gentille dame m’a proposé d’encaisser les ciseaux en passant devant tout le monde et de partir dignement, son regard suggérait que je ne remette plus les pieds dans cette officine (dédicace à mon Paternel). J’ai pris les enfants, laissé les ciseaux, on a fait le tour pour retrouver l’entrée, ce que c’est con un supermarché, on a baissé les yeux devant le vigile, les enfants m’ont montré le rayon des ciseaux de cuisine et on ne s’est plus quittés. Ils sont marrant mes gosses : ils savent que s’il ne faut pas me lâcher, dans les supermarchés, c’est surtout pour ne pas que je me perde. La pagaille à tous les rayons, on a mis une heure et ce drôle de sentiment que tout le monde nous regardait.
J’ai acheté des acras de morue et de supermarché. L’hiver est passé mais je ne passerai pas la nuit.
La vie poursuit son trop court : ma fille fait la bombinette dans son legging dont je ne suis pas sûr de l’orthographe et mon fils se pose des questions à propos du collège dont je ne suis pas sûr de l’orthographe non plus. Je lui réponds CM2. Le monsieur de l’agence me dit qu’on peut transformer le rez-de-chaussée en studio indépendant des fois que ça arriverait vite. Ils se marrent quand je les perds dans le supermarché. Une pensée pour une belle Espagnole et pour un Chinois pas terrible : « Ma mère m’oubliait régulièrement dans les caddies de supermarché. Alors, pour retourner l’attention sur moi j’ai cherché des moyens de me faire remarquer. J’ai fait du théâtre. »
Le temps viendra où il faudra bien leur parler du théâtre. J’espère que ça les fera marrer. C’est tous les jours de toute façon, le théâtre.