Le plus dur dans le métier d’enseignant c’est les réunions parents professeurs de ses propres enfants. C’est comme le boulot, mais en plus pénible. La directrice n’a pas manqué d’indiquer ma profession à l’assemblée des autres parents et ça m’a mis mal à l’aise. Et puis elle a parlé de la charte de la laïcité et le malaise s’est accru quand elle m’a demandé, alors que je n’écoutais évidemment pas, « que pensez-vous de la laïcité Monsieur Lion » ? J’ai bredouillé « Ma foi… ». Ca commençait mal.
La maîtresse est super jeune et dynamique, je me demande comment on peut être aussi dynamique pour les parents à 17:30. Elle a passé des C’est pas sorcier à ses élèves toute la journée pour garder du jus, ou bien elle se drogue, ou alors elle est juste dynamique. Du coup j’ai essayé d’être dynamique lors de ma réunion à moi, devant les huit parents d’élèves (record battu) qui avaient eu la délicatesse de s’y déplacer, je ne suis pas sûr d’avoir fait aussi bien qu’elle. Ah si, quand la mère de je ne sais plus laquelle m’a informé que sa fille n’irait jamais à la piscine, là je suis devenu tellement dynamique qu’elle est partie et ils n’étaient plus que sept, nouveau record à battre.
La maîtresse de Grand Frère Lion avait préparé un powerpoint presqu’aussi dynamique qu’elle : il y avait des puces de partout et des fondus au noir godardiens. « La classe est sympathique, c’est une classe qui bouge un peu mais avec une bonne ambiance » : elle a du métier, celle-là je n’ai notée pour ma réunion à moi. On s’est souri Maman Lionne et moi quand elle a évoqué un de ses élèves qui lit le dictionnaire quand il a fini son travail, c’était de loin le meilleur moment de la réunion. Quand elle a parlé d’îlots j’ai rêvé de vacances mais quand elle a évoqué le cycle rugby j’ai pensé à mon fils, son dictionnaire à la main, broyé entre Kevin et Nolan. L’animateur s’appelle Fabrice et c’est le moment qu’a choisi la directrice pour m’extraire de mes rêveries : « Fabrice, vous le connaissez sans doute, Monsieur Lion ? ». C’est fou cette manie d’interroger les élèves quand ils bâillent. « Fabrice ? Oui, c’est un excellent pédagogue. » Je ne sais pas ce qui m’a pris : Fabrice, je ne le connais pas, sans doute un gros balaise qui va au contact comme on dit probablement dans le métier et qui va forcer mon fils à manger des fourchettes dans la mêlée. Lui qui ne sait même pas tenir ses couverts et qui déteste le contact.
Le powerpoint et les projets de l’année, c’était plutôt intéressant. J’ai cru que c’était fini mais elle a donné la parole aux parents pour la sempiternelle séance de questions réponses. J’ai noté sur ma petite feuille : « penser à ne pas donner la parole aux parents ». La pauvre, elle a eu des questions qui tuent. La meilleure a été « Et les récrés, ça se passe comment ? »
Mais comment peut-on répondre à ça ?
Elle a gardé son calme : « 2 adultes en permanence, sous le préau quand il pleut, c’est écourté quand il fait très froid et ça se passe plutôt bien.
– Non parce que ma fille l’autre jour elle m’a raconté… »
J’aurais voulu qu’elle réponde que les récréations durent plus d’une heure, qu’on fournit les pierres très lourdes pour qu’ils se les jettent à la tronche, qu’on boit des tequilas au chaud pendant qu’ils jouent en t-shirt sous la pluie et qu’on les désinfecte avec les fonds de verres.
Et puis la réunion s’est terminée. Grand Frère Lion nous a demandé ce que la maitresse nous avait appris, j’ai trouvé ça mignon. On ne lui a pas dit, pour le rugby, laissant le soin à la pédagogue de lui annoncer la bonne nouvelle.
J’ai raccompagné Maman Lionne et les enfants. Bébé Lionceau m’a demandé s’il fallait vraiment que je rentre chez moi. J’aurais eu besoin de pédagogie ou d’un powerpoint avec des puces. Mais il n’y a eu qu’un fondu au noir godardien.