C’est prestigieux Cannes : ses palaces palissadés, son palais où les festivaliers de février s’inventent un destin de star de selfie, sa Croisette goguette et ses bars de plage d’où émanent des basses rances et les effluves de paellas noyées dans la graisse et le tariquet ; on se pencherait pour apercevoir une star mais je suggère qu’on passe son chemin. Car nous sommes en quête, et des plus belles, celle d’un glacier où nos cannes finiront bien par nous mener car nous sommes tout de même sur la côte d’Azur et parce qu’il n’y a rien de mieux en vacances qu’améliorer l’ordinaire avec une bonne bière ou une coupe glacée. Vu l’heure et bien que nous ayons vingt-trois ans de moyenne d’âge à nous trois, nous tentons de débusquer la star locale de la crème glacée. Mais dans l’enfer d’un après-midi bondé de février sur un front de mer largement surcoté, nous décrochons la palme d’or du meilleur espoir déçu. Il ne s’agit plus de passer son chemin mais de le rebrousser et, pour ne pas croiser les Croisettiens, nous demi-tournons par l’intérieur.
Et pour ce faire nous traversons et c’est alors qu’a lieu l’inattendu meilleur moment des vacances : un couple se fait grignoter la priorité sur le passage piéton par un automobiliste négligeant les règles les plus élémentaires de la conduite. S’ensuivent quelques jurons bien légitimes quoique manquant de subtilité, la scène aurait pu s’arrêter là, décevante, fade, quotidienne, mais le sublime a sublimé le vulgaire car l’homme parmi ce couple, après une seconde d’intense réflexion, avisant la plaque d’immatriculation de l’automobiliste coupable, lance à qui veut bien l’entendre : « et en plus il est Italien ».
Nous ne voulions pas vraiment entendre cela mais la vie est ainsi faite, la raison a souvent tort, à Cannes comme ailleurs.
Il nous sauve notre après-midi, ce brave gars. C’est superbe de la plus élémentaire des xénophobies : la salve la plus minable qui soit, il ne pouvait pas mieux formuler la haine ordinaire et, comme au cœur du plus intense des points d’orgue verdiens, il nous faut quelques secondes à mes enfants et moi pour réagir à cette scène misérable, le temps sans doute de nous mettre à l’abri des voitures et de la médiocrité. Et nous rions. Mais alors nous nous mettons vraiment à nous marrer.
Pernaut est mort, mais le Pernod vivra !
Il y a beaucoup d’Italiens à Cannes pour notre plus grand bonheur : dès que nous apercevons une plaque à l’effigie de notre sympathique voisin frontalier, nous nous faisons la réflexion qu’en plus, il est Italien. Une bagnole quelconque qui franchit une intersection de son plein droit alors que nous attendons raisonnablement que le feu passe au rouge ? Et en plus, il est Italien ! Des boutiques de grandes maisons de prêt-à-porter ? Et en plus, ils sont italiens ! La carte des pizzas ? Et en plus elles sont italiennes ! Nous faisons feu de tout bois.
La soirée passe ainsi, nous tournons tout à la dérision. Comment faire autrement ? J’ai un bon copain (qui en plus, est portugais) qui me fait parfois la remarque, teintée peut-être de reproche, que je tourne tout à la dérision. Nous poursuivons notre route, nous passons la plus excellente des soirées puis, quitte à en être si proche, nous traçons notre chemin vers Antibes. Nice. Menton. Ensuite, nous serons sans doute en Italie.
J’adore ce genre de private jokes. On en a pas mal entre nous ici aussi. 😉
Quand je pense que je suis Italienne et que je ne savais pas que c’était un plus !